Article paru dans le magazine Artension n°119:
Marc Dailly
L’émerveillement du quotidien
Par Martin Rey
Les peintures de Marc Dailly, nous invitent à décrocher un peu de la réalité pour goûter au plaisir du flottement insouciant au-dessus de celle-ci. Elles nous emportent dans un état de semi - éveil, aux bords du rêve, là où la banalité quotidienne peut basculer dans une sorte de merveilleux familier.
C’est une peinture de proximité, de constat immédiat, sans ambition messianique ou démonstrative, sans référence historique, sans volonté de s’inscrire dans une tendance, un mouvement, une histoire ; C’est une peinture narrative sans autre sujet que le témoignage muet des objets du quotidien dans leur matérialité sensible, des scènes de famille, dans le bonheur de l’instant nimbé de sereine et douce inquiétude.
Cette disposition à peindre pour témoigner de la vie présente, pour dire une certaine ivresse d’exister, un certain vertige d’aimer ce qu’on voit, ce qu’on touche, ce qu’on partage avec sa famille ou ses amis, est assez nouvelle dans l’art contemporain. Elle peut paraître un peu désuète ou archaïque pour certains, mais constitue, de fait, une tendance bien affirmée chez quantité de jeunes peintres de tous pays, unis entre eux sans le savoir, pour de saines retrouvailles avec le plaisir du dessin, de la peinture, de la couleur, de la sensualité du matériau, ainsi qu’avec les valeurs et les références partagées avec les maîtres anciens.
A cet égard, Marc Dailly, ne cache pas sa fascination permanente pour les peintres préraphaélites. Il en aime bien évidemment le savoir-peindre, mais aussi l’irréalité, la poésie étrange, l’incertitude du propos, la magie, la mélancolie sans doute, le romantisme assurément. Car oui, on peut dire que Marc Dailly est un néo-romantique.
En effet, il s’agit bien pour lui de mettre en forme l’ émotion mystérieuse provoquée par les images de la vie quand on en regarde bien l’intérieur ; de donner corps et réalité à ces états d’âme évanescents ; de visualiser ces très fugitifs sentiments personnels et de les rendre partageables.
Cette vision poétique et décalée du monde, ce sentiment d’envoûtement, ce léger « dérèglement des sens » était obtenu, chez les surréalistes, par le télescopage aléatoire de mots, d’images , de situations. Chez Marc Dailly, ce léger trouble tant intellectuel que sensoriel et affectif, qui donne à la fois lumière et lucidité aux images peintes, n’est plus de l’ordre de la rencontre l’aléatoire, mais possède la nécessité et la logique des associations rêvées, celles des visions hypnagogiques ou celles des aventures d’Alice au pays des Merveilles.
La « mise en peinture », se fait après que l’artiste ait reçu, tel un médium, la « vision » d’une association d’images qui fasse fulgurante signifiance et qui lui provoque une bouffée d’émotion intense, inexplicable et mystérieuse. Mais l’image de fond est toujours celle de la vie familiale : on y voit l’ épouse, l’ enfant, le repas de famille, le grand-père, l’artiste lui-même… Et c’est à partir de cette représentation des êtres chers et des moments aimés, que se produit, par la magie de la peinture, l’opération de sublimation et d’émerveillement du quotidien.